A LA VEILLE DU DEPART : MARINA DE MINDELO AU CAP VERT
C'EST PARTI!!!!
A ma demande et pour son plaisir et une de ses occupations Olivier vous relate son expérience de naviguateur pour sa première traversée de l'Atlantique du Cap Vert vers les Antilles
DEPART UN VENDREDI 18 MARS :
Ca y est le grand jour, ce sera un vendredi au grand dame des puristes superstitieux.
La mer sait être reconnaissante autant que dure avec ceux qui la pratiquent elle nous donnera en spectacle une énorme raie qui nous fera deux sauts périlleux avec double vrilles avant de laisser la place à un groupe d'une dizaine de dauphins qui resteront dans notre étrave une dizaine de minutes, comme pour nous accompagner vers le large.
Côté pêche, on vient de se faire bouffer notre meilleur leurre sûrement par des gros bestiaux qui ont réussi à rompre le sertissage sur le bas de ligne en inox. Le poulpe a dû rester bien accrochée dans sa gueule et à de forte chance de l'empêcher de s'alimenter, il succombera donc mais pas dans notre poêle qui l'attendait pourtant.
Le sommeil est difficile à trouver mais pas trop malade pourtant la mer est agitée, ça roule et ça mouille.
JOUR 2 :
Encore bien patraque tous les deux, presque 3 semaines sans naviguer, faut que ça revienne.
La journée est longue, on rentre lentement dans le rythme. Je ne peux m'empêcher de penser à mes deux femmes qui doivent être bien mieux là où elles sont. Ohana chez une grand-mère et Angélique au 30 ans de Camille.
Toujours rien au bout de la ligne, la mer est sacadée et croisée, quelques déferlantes nous mettent de gentilles claques mais on s'est bien rodé sur le sujet entre les Canaries et le Cap Vert!
Y en a une quand même qui m'a réveillé en sursaut, arrivé devant la descente je crie après Angélique, persuadé qu'elle était passée à la baille avant de voir Louis fidèle au poste et bien mouillé.
JOUR 3 :
Ce matin grand moment de déception, notre deuxième poulpe, bien plus gros que le précédant vient de disparaître. C'est celui qui devait nous permettre de sortir la mythique dorade coryphène de 25 kg tant convoités par les amateurs de boîtes de conserves que nous sommes. Louis enfin pêcheur, rejette dans la foulée avec un autre leurre, et 1 h plus tard c'est la touche : une belle petite dorade coryphène de 3 kg environ.
Une pensée toute particulière pour Angélique qui "rêvait" de pouvoir sortir autre chose que des maquereaux, tellement nombreux, qu'Ohana pense que tous les poissons sont des maquereaux!
La mer est beaucoup plus calme, juste de quoi faire avancer et rouler l'ANGE EOL à 6 noeuds de moyenne.
Encore beaucoup de fatigue malgré de grosses siestes en journée;
JOUR 4 :
Pas grand chose aujourd'hui : dormir, manger et se faire chier
On a très peu d'air et on se dandine péniblement autour des 4 noeuds.
J'attaque mon premier pavé "l'ombre du vent" de Carlos Ruiz Zafon
JOUR 5 :
Matinée de manoeuvres à bord :
Levé à la première lueur après une nuit de quart toujours aussi longue, on envoie le spi (grande voile d'avant) pour essayer de se déhaler avec 5 à 10 noeuds de vent.
A midi on affale pour une baignade magique dans un bleu abyssale par 4700 m de fond! On est à 1200 miles de l'Afrique sur les 2200 que nous devons parcourir (1 mn = 1.8 km).La mer est plate, on renvoie le spi pour nous apercevoir qu'il est déchiré : pas de quoi réparer à bord, fini pour lui, il retrouvera sa principale fonction: pouf de pont!
Le pilote automatique nous lâche dans la foulée, nous renvoyons le génois et l'inter pour nous mettre en "papillons" (2 voiles d'avant sans la GV), efficace pour le vent arrière mais pas très confort.
Le vent et donc la vitesse continuent de tomber pour finir à 3 noeuds, CAP au 230 : pas vraiment la meilleure route.
Ce soir petite chasse criminelle contre nos nouveaux compagnons d'infortune, qui depuis les Canaries continuent à faire des petits trous dans notre dos. Bilan : 3 individus sauvagement assasinés sans aucun état d'âme.
D'ailleurs nous sommes à la recherche d'informations quand à l'identité, la façon dont ils se nourissent, la vitesse de propagation et le meilleur moyen de les déloger de notre lit... De sincères remerciements seront accordés à qui fera avancer le topo (père...)
Nuit bien calme, le bateau bouge juste ce qu'il faut pour ne pas oublier que nous sommes en mer, si ça pouvait tout le temps être comme ça... On attend un peu plus d'air d'ici 2 jours.
Louis vient de nous refaire un pain.
JOUR 6 :
Une belle journée malgré l'absence de vent. L'ANGE EOL avance à 3 ou 4 noeuds, le soleil et une mer plate forme le décor. Il faut vraiment du temps pour apprendre à apprécier ce rythme si particulier. D'un autre côté, avec de l'eau, de la bouffe et du gaz, on peut penser qu'on est pas si mal comme ça. Qu'après tout, on n'est pas pressé et que lorsque le vent reviendra ça recommencera à bouger.
Au moins ce break nous aura permis de bien nous reposer et de se mettre dans le coup : parfait.
Louis qui se découvre un hobbie avec la pêche vient de nous sortir un beau poisson qu'on n'arrive même pas à identifier : avis aux spécialistes
JOUR 7 :
On se jette à l'eau. Le vent et la mer sont toujours aussi accueillants et l'envie d'une nouvelle baignade se fait sentir. Plongeons, nage pour essayer de rattraper le bateau et tractage dans une eau à 24°. Toujours ce bleu profond et inspirant humilité et respect. Nous en profitons pour tester l'homme à la mer avec chrono en main pour estimer le temps de réponse... Conclusion : il faut faire vite, chaque seconde est précieuse, pour exemple Louis s'est jeté à l'eau à 3 noeuds, j'ai attendu une quinzaine de secondes pour lui balancer la bouée, après une nage d'une vingtaine de mètres des plus épuisantes, il arrive à récupérer la bouée alors qu'il ne reste plus que 4 mètres sur le filin de 50 mètres. A près il faudrait attendre que le bateau fasse demi-tour...
Je fais mon premier pain
JOUR 8 :
Ca y est : le vent est de retour, la mer reprend ses formes petit à petit et L'ANGE EOL revit. On doit avoir nos 15-20 noeuds d'Est ce qui nous mène sur la route quasi directe au 300°
Mon premier pain est déjà fini (750g)!
JOUR 9 :
RFI nous annonce une bascule d'Est au Sud-Est dans les 24h. Cela ne nous arrange pas vraimant mais c'est comme ça, on tirera donc 2 bords de plus. On tire donc un bord au 240° plutôt que trop remonter Nord, ce qui nous permettra d'être plus "grand largue" (3/4 arrière) plutôt que plein cul (vent arrière vous l'aurez bien compris) en attendant le retour à l'Est.
Aujourd'hui nous sommes pile poil à mi parcours, 1100 miles nautiques derrière nous et autant devant. Avec les 3 jours mous que nous avons connu, on pense mettre une journée de moins pour la seconde partie. J'en profite pour me raser ce que je n'avais pas fait depuis 1 mois et demi. On commence inévitablement à penser à l'arrivée.
Je suis curieux de voir combien de miles au aura réellement effectué, puisque les 1100mn sont en route directe, chose impossible avec un vent d'Est quand on souhaite aller plein Ouest!
Contrairement à ce qu'on pourrait penser un bateau ne fonctionne pas bien du tout si le vent vient de l'arrière. il faut choisir un côté et tirer des bords (lacets) pour atteindre son but.
L'ambiance avec Louis s'est inévitablement dégradé, on parle peu, bizarre comme atmosphère, il faut vivre avec.
*JOUR 10 :
On affine les estimations d'arrivée. Les ty punchs commencent dèjà à nous faire saliver dur dur!
Petite douche avec la douche solaire cet après-midi et un sacré roulis...
JOUR 11 :
Cap au 300°; ça remonte un peu trop nord mais on ne peut pas serrer plus le vent sur l'arrière parce que notre troisième barreur n'arrive pas bien à garder son cap avec la houle et nous fait des petits départs au lof ou se rapproche trop de l'empannage, écart de presque 20° de chaque bord
JOUR 12 :
Aujourd'hui on a fait un peu de casse!
Sous génois tangonné et grande voile avec 1 ris, un petit grain nous tombe dessus. Mauvaise manip pour essayer de rouler le génois, on choque trop et la voile bat, un empannage et voilà la machoire du tangon qui casse nette (tangon : grand tube qu'on fixe par sa machoire sur l'avant du mat et qui sert à déborder le point de tir de la voile, point d'écoute). Il se retrouve pendu par sa balancine à l'horizontale et balaie le pont avec fureur à hauteur d'homme. Pour finir ses deux minutes merdiques le retour d'empannage nous casse une bosse de ris qui passe dans la bôme et sort de son logement. Nous essayons d'en repasser une nouvelle mais pas évident, le chemin fait des coudes avec les réas (poulies).
Je prendrais le troisième ris dans la nuit sous un grain, chose assez rare depuis notre départ de retagne (c'est la dernière réduction de voilure pour la GV avant d'être obligé de l'affaler complètement et d'être sous petite voile d'avant seule : grosses conditions.
Nous prenons tout ceci comme un petit rappel à l'ordre : vigilance et rigueur doivent rester parmi nous!
JOUR 13 :
Presque 3 jours où je ne trouve plus trop un sommeil réparateur. On décide de changer les quarts de nuit. Je prends 21h-4h et retour à 9h, tandis que Louis prend celui de 4h-9h
Personnellement je commence à vraiemant être en phase avec l'ANGE EOL, je crois avoir enfin trouvé le rythme (il aura fallu 13 jours!).
Cet après-midi grand bricolage sur le pont : la caisse à outils est sortie, la perceuse chargée et la ponceuse chauffée à blanc.
Mise à la cape puis affalage de la GV ( et oui ça tiendra sous génois seul) et dépose de la bôme. On démonte les
réas des bosses de ris (poulies et les coinceurs pour passer un messager (guide) qui nous permettra d'envoyer une bosse à l'intérieur de la bôme. On en profite pour déplacer les 3 coulisseaux des ris un peu plus en arrière pour avoir une meilleure tension du point d'écoute.
Après 2 heures de dérive sous un soleil de plomb, l'opération est un succès, pas de casse et rien de passer à la baille! Dernière bricole pour déplacer une poulie de renvoi du régulateur d'allure, on reprend notre route cap au 310°.
JOUR 14 : VENDREDI 1ER AVRIL
J'ouvre mon agenda et je lis : "Une arrivée de pirates va déferler à l'horizon, revenez vite, c'est plus prudent"
J'ai bien une piste ou deux mais je dois avouer que l'homme masqué reste à démasquer.
Je ne manque pas de surveiller attentivement l'horizon, au cas où, mais il est un peu tard pour faire demi tour maintenant , nous touchons au but, il nous reste 360 miles à parcourir. Cela représente tout juste 4 jours si on pouvait faire une route plein Ouest mais le vent est de secteur Est. On mettra donc une journée de plus à tirer des bords à 45 noeuds avec à peine 10 de vent.
Mon imagination va bon train sur notre arrivée. Angélique sera t-elle déjà là? Quel accueil ma fille va me réserver?Fera -t il chaud? Est-ce que l'eau sera vraimant meilleure qu'en BZH? Est ce qu'il restera du rhum?
L'ambiance avec Louis se redécontracte un peu, c'est vraimant unique comme expérience humaine...
Je nettoie un peu les endroits du bateau dont on ne s'occupe jamais, histoire de suivre l'évolution de notre petite colonie de passagers clandestins, il y a des bébés insectes!!!
JOUR 16 :
30° dans le bateau en journée, plus de 25° la nuit, l'eau est à 27°, la mer est belle et calme, le vent faible.
On avance péniblement un peu mou quand on hâte d'arriver, encore une sacrée leçon de patience...
J'enchaîne quelques pompes, histoire d'avoir l'impression de me dépenser un peu!!
Il est 3h20 du mat et je viens de remarquer un bel oiseau dans le cockpit, il a l'air vraimant faible, on verra s'il reste et s'il accepte de manger quelque chose!!
Le dernier cargo de croisé date de 5 ou 6 jours.
La météo n'est plus prise de puis 3 jours.
JOUR 17 ET 18 :
On est en phase d'approche, 130 miles à parcourir seulement, du coup on s'y croit. Cet aprèe-midi ménage, rangement sur le pont, remise en ordre de la bannette d'Ohana, transfert d'eau...
Cette nuit là nous réservera les plus beaux grains de la traversée. De l'eau à gogo, trempé des babouches au caleçon, on est avec 3 ris et un string de génois. Entre deux grains le bateau se fait bien rouler parce qu'on manque de puissance (surface de voile). A chaque fois qu'on se décontracte c'est un rappel à l'ordre, la mer demande rigueur et discipline. On se fera brasser presque toute la nuit.
JOUR 19 :
Encore une mer formée pour notre dernière nuit, ça se calmera au petit matin, on aura navigué presque 2 jours capot de la descente fermé afin d'éviter de laisser les paquets de mer rentrer, ceux qui rincent régulièrement le cockpit.
Milieu de matinée "TERRE EN VUE",
ça sera donc double ration de rhum pour Louis qui aura aperçu le premier la côte Martiniquaise : facile, c'était lui qui était de quart!
Nous arrivons dans le cul de sac du Marin vers 16h, tout juste 19 jours de traversée. Nous avons tenu un timing normal pour un bateau comme le notre sachant qu'à cette période les alizés sont moins soutenus et qu'à force de faire des manoeuvres on fini par se laisser un peu aller au confort et donc à ne pas renvoyer de toile malgré des conditions qui molissent, entre autre pour laisser celui qui dort tranquille.
CONCLUSION :
Nous sommes donc très contents et fiers d'avoir effectué cette transatlantique sans incident majeur, pas de frayeur, ni de mauvais souvenir. Un peu de casse mais rien de bien méchant, ce qui confirme que nous sommes en possession d'un bon bateau, qu'il était bien préparé et que l'équipage a tenu la route.
Il faut reconnaître que les journées sont longues et que les occupations sont limitées. Nous avons passé un nombre d'heure impressionnant à ne rien faire, ce qui ne convient pas forcément à tout le monde.
Expérience humaine, puisque même avec un équipage restreint, avec un bon feeling et du même âge, nous aurons trouvé le moyen de nous "taper mutuellement sur le système "mais nous avons su prendre sur nous et prouver notre patience, discipline et se faire violence pourr assumer ce rythme si spécifique qu'est la vie à bord d'un bateau en mer, où des choses anodines prennent une ampleur insoupçonnée.
Evidemment les choses auraient été bien différentes avec nos deux anges à bord, mais la décision courageuse d'Angélique nous laissera juste l'imaginer. On ne prend pas la mer pour une transat avec des doutes, mieux vaut se réserver le meilleur.
A titre personnel, moi qui rêvait de ce périple, jk'en tire beaucoup d'enseignements :
-humilité face à cette environnement
-l'apprentissage éternel : "les bons marins n'existent pas, seuls restent les vieux marins"
- Ne pas trop idéaliser ce genre de projet : tout est plus compliqué sur un bateau
-Il y a plein de moments difficiles et pas si excitant que ça. seuls quelques moments magiques font oublier le reste
-N'envisagez ça que si vous êtes à fond et bien préparé!
Personnellement, je ne suis pas trop pressé d'envisager à nouveau une grande traversée...
Voilà une nouvelle vie commence ici, nouveau contexte, nouvelle culture...Une page se tourne, une nouvelle s'ouvre.
Quand à Louis, avec qui nous aurons effectué pas loin de 300 miles sur les 5500 avalé par l'ANGE EOL depuis notre départ, il va reprendre son sac (quand Angélique lui redonnera!à son arrivée!) et continuer son périple, sûrement vers le Sud direction l'Amérique Latine... Avec ce beau souvenir de cette transat.
Louis vous dit :
Salut à toi oh lecteur assidu du blog,
Moi c'est Louis, alias l'autre barbu, équipier à bord depuis maintenant presque 3 mois, depuis Las Palmas de Gran Canaria, et voiçi venu pour moi le temps de refaire mon sac et de débarquer, non sans une certaine émotion, puisque l'ANGE EOL jette l'ancre pour quelques mois au moins...
Beaucoup de très bons souvenirs évidemment, de longues heures à contempler la mer et ses milles couleurs, à l'écouter chanter sous la coque, sentir le bateau vibrer de plaisir et de liberté sous l'effet du vent... Ce matin j'ai le sentiment de me réveiller après un long rêve, puisque ça faisait des années que ça me chatouillait, d'aller écouter ce que se racontent les poissons volants au milieu de l'océan...Aujourd'huij'en sais un peu plus, mais comme dit Olivier ce qu'on apprend le plus en mer c'est l'humilité face à tant d epuissance (pourtant on a échappé au gros temps...) et on se sentvraimant tout petit et fragile au milieu d'une telle immensité... Sur que ça va me prendre un peu de temps pour digérer tout ça, mais je pense déjà au retour par l'Atlantique Nord d'ici quelques mois...
Alores il me reste à remercier Olivier, Angélique et Ohana pour leur chaleureux accueil à bord, remercier l'ANGE EOL pour ous emmener à bon port, et leurs souhaiter à tous les quatres une belle mer, un bon vent, une belle route, et pour commencer une escale martiniquaise pleine de cocotiers, de sable blanc et de rencontres aux sourires bienveillants...Et à bientôt pour une bolée de cidre du côté du Golfe!!!